Portrait et interview d’Aurélie William Levaux
« C’était la période où je lisais des trucs sur la pensée complexe d’Edgar Morin. Il disait, entre autres, Morin, que l’ordre et le désordre, pourtant ennemis l’un de l’autre, coopéraient pour organiser l’univers. En gros, que dans l’organisation pouvait arriver un élément nouveau, qui créait un mouvement d’agitation, mais qu’au lieu de s’accroître, ce mouvement d’agitation, une autre forme d’organisation naissait. Moi, c’est ça que j’en comprenais. J’avais encore foutu la merde dans une conversation. Enfin, c’est ce qu’on pourrait dire après coup, c’est ce qu’ils avaient dit après coup, mais en vrai, au départ, pour être plus juste, il n’y avait aucune conversation, j’avais plutôt foutu la merde dans le néant. Les quatre garçons buvaient un verre, et moi avec eux, et nous ne parlions plus ou moins de rien, ou alors de quelques lieux communs comme du prix de la bière belge, de leurs prochaines vacances et de la météo tout ça entrecoupés de silences très longs. C’était extrêmement ennuyeux, et je ne voyais pas à quoi ça rimait de se réunir pour boire, dans ces conditions. Je leur ai fait part de cette pensée. Je ne vois pas pourquoi on se réunit si ce n’est pas pour parler vraiment, j’ai dit. En riant, que j’ai dit ça, pour ne pas trop les chambouler. Et puis, j’ai lancé un débat politique. Plus ou moins politique. Philosophique, plutôt. » ( WILLIAM LEVAUX, Aurélie. Bataille (pas l’auteur). Ed. Cambourakis. Paris. 2019. P. 118)
Aurélie William Levaux est une auteure, illustratrice et plasticienne belge née en 1981 à Oupeye (Province de Liège). Son œuvre, caractérisée par une certaine pugnacité, interroge le fait d’existence, autant qu’elle souligne avec un humour singulier les aberrations de notre époque. Entretenant volontiers quelques maladresses et un « esprit de paysanne » tout en empruntant à la violence contemporaine, cette libelliste compulsive en quête de Justice pulvérise les réjouissances passives et se fait l’avocate du plus pauvre, du faible… de la Femme en tout contexte. Aurélie William Levaux ne s’attarde jamais dans une pratique. Bien qu’immatriculée depuis le début des années 2000 au registre des auteurs de bandes dessinées, elle publie romans et nouvelles, expose à travers le monde, performe et chante ses envies et ses doutes.
Interview
Tu devais participer à une soirée de rencontre-débat sur le féminisme (cette rencontre sera reportée à une date ultérieure) à la bibliothèque de Fétinne, qu’est-ce qui t’a motivée à accepter cette invitation ?
Alors, je suis invitée à des débats, conférences, expositions collectives, magazines et festivals qui traitent de la féminité, du féminisme et du genre depuis que je suis sortie de l’école. Non pas que mon travail soit féministe spécialement, mais parce que je suis une femme qui s’exprime (à tort et à travers) tout simplement. Ce constat m’a souvent franchement démoralisée, je me suis souvent sentie enfermée dans une case, étiquetée, dépréciée, mon travail n’étant considéré que pour cet aspect lié à mon sexe. Même si les initiatives étaient belles, ça me donnait plus la sensation d’un retour en arrière que d’une avancée paritaire, anti-discrimination et de voix entendue pour ce qu’elle est. J’ai expliqué ça, tout d’abord, aux bibliothécaires de Fétinne, et nous avons eu une chouette conversation par la suite. Ce qui était important pour elles étaient d’avoir mon point de vue, quel qu’il soit, et quelle qu’en soit la forme. Bien entendu, j’étais de fond féministe, puisque pour la justice et l’égalité en général. Mais au-delà du thème, ce qui m’intéressait dans la proposition était de partager une expérience avec un public, ce qui n’est pas si courant quand on est auteur. J’aime que les textes sortent du livre et qu’ils soient vivants et que nous puissions nous rencontrer, nous les humains, en bibliothèques ou n’importe où d’ailleurs. L’idée était que je fasse une performance parlée et chantée avec mon compagnon, reprenant des parties de mes bouquins de façon un peu festive.
Nous proposons en lien hypertexte une série d’articles que tu m’as envoyés. Comment aimes-tu qu’on parle de ton travail dans la presse?
J’aime qu’on parle de mon travail dans la presse, déjà, haha. Non, mais ce n’est pas comme s’il y en avait eu des tonnes, d’articles à mon sujet, je ne suis pas Amélie Nothomb, donc c’est pas ouf. Du coup, je n’ai eu que des critiques positives. Personne ne prendrait le temps de démonter un boulot dont tout le monde se fout, on ne tire pas sur une ambulance. Sinon, j’aime les points de vues personnels, j’aime les gens qui se projettent dans les oeuvres, aiment écrire, ressentent, et écrivent ce qu’ils ressentent.
Dans « Bataille (pas l’auteur) » et sur instagram, tu évoques ton prochain livre… de quoi parle-t-il? Dans quel contexte l’as-tu écrit?
J’ai plusieurs projets de bouquins qui traînassent, celui que je viens de terminer n’en faisait pas partie, il s’est imposé au début de la crise coronarienne. Mon compagnon Baptiste et moi avons été séparé pendant un mois et demi à cause de soucis conjugaux au départ et du confinement par la suite, lui coincé en France, moi coincée en Belgique. Ça a été pour moi un réel enfer, mais aussi l’occasion de travailler sur un problème que je traînais comme un boulet depuis des années et qui touche pas mal de gens, et de filles particulièrement: la dépendance affective. J’ai décidé d’écrire ce livre, de sortir de ma toxicomanie amoureuse, et de guérir de façon définitive une fois qu’il serait terminé. Je l’ai terminé, j’ai guéri, je me suis libérée, ça a marché. Par contre, Baptiste a passé la frontière, m’a demandée en mariage et j’ai accepté.
Tu me disais au téléphone que tu télé-travaillais dans le cadre de ton boulot de prof à Saint Luc. Tu me parlais des défis que tu lançais aux élèves… Comment ça se passe?
Bien, ça se passe relativement très mal. Nous n’étions pas du tout prêts à donner cours à distance. Les étudiants sont un peu largués et discuter par mails est compliqué pour la plupart. Le dernier travail consistait en un journal de confinement, et un texte, une prise de son, ou une vidéo façon Youtubeur ou conférence de presse, à leur convenance, qui expliquerait leur démarche. Certains nous envoient des dessins sur papier cul, d’autres des images de leurs produits d’entretien, d’autres encore parlent de leurs fantasmes. Si de chouettes choses ont pu sortir de leur période d’incarcération, ce qui est certain, c’est que nous avons besoin de contact physique, de nous voir, de nous sentir, pour que ces cours artistiques aient un sens et un impact positif. D’une certaine façon, je suis assez contente que ces cours en ligne ne fonctionnent pas bien, il ne faut pas s’habituer à la distance et à la déshumanisation de nos boulots.
Est-ce que tu as une idée de défi que tu as envie de lancer aux lecteurs?
Oui, j’aimerais les convier à écrire une lettre de réclamations à Sophie Wilmès. Sophie Wilmès, 16, rue de la Loi, 1000 Bruxelles.
Est-ce qu’il y a un autre thème que tu aurais voulu aborder?
La servitude volontaire, la fermeture des bars et des frontières, les gilets jaunes, le salaire à vie…
Liens
Envie de préparer ou prolonger votre lecture ? D’en savoir plus, de réfléchir, de méditer, d’inférer, … Voici une sélection de ressources en ligne sur et de l’auteure.
http://aureliewilliamlevaux.be/
https://www.lemonde.fr/blog/bandedessinee/2016/05/09/points-de-croix-et-joies-de-la-vie-conjugale/
https://www.parismatch.com/Culture/Livres/Aurelie-William-Levaux-sous-les-paves-la-rage-1618751